Mais qui est la mère du Blues?
Elle est née au 19ème siècle, le 26 avril 1886 à Columbus en Géorgie aux USA sous le nom de Gertrude Malissa Nix Pridgett. Cette même année les U.S.A. accueillaient la Statue de la Liberté, un cadeau de la France, symbole de paix entre les 2 nations.
Dès son plus jeune âge, Gertrude exprime une passion pour la danse et le chant. A 14 ans, elle profite du passage d’une troupe de spectacle dans sa ville pour se produire sur scène.
Le succès de Ma Rainey commence avec les spectacles de Minstrel, sorte de cabarets itinérants qui parcourent les états du sud des Etats-Unis afin de divertir les travailleurs épuisés après les récoltes du coton ou autres matières premières. C’est dans la troupe des « Rabbits Foot Minstrel » qu’elle rencontre William, un charmant danseur chanteur surnommé Pa Rainey qui l’épouse en 1904 et lui donne son nom. Mais Ma finit par monter sa propre troupe « Madame Gertrude Ma Rainey and Her Smart Sets ». On sent bien ici la volonté d’émancipation et d’indépendance, notamment financière, qui caractérise la Mère du Blues et inspirera d’autres chanteuses et musiciennes.
Grâce au spectacle itinérant, Ma Rainey acquiert une très belle réputation qui atteindra même les villes du Nord où est installée une toute nouvelle industrie, celle du disque. Bien qu’elle ne soit pas la première blueswoman à graver sa voix dans la cire, la primeur revenant à Mamie Smith en 1920 avec le titres Crazy Blues, Ma reste la plus populaire de cette époque.
Ses premiers enregistrements se font en 1923 chez Paramount Records sous le label Race Records, celui-ci s’adressant au public afro-américain. Elle enregistre 92 titres en 5 ans! Ce sont les années folles et ses chansons reflètent le quotidien des femmes de son époque, évoquent sans complexe le désir féminin, attirent l’attention sur les conditions sociales difficiles et les violences misogynes. Ce qui permet de sortir ces sujets délicats et douloureux de la sphère privée et de les poser en véritables sujets de société dans le débat public. Un débat qui a fait l’actualité du 20ème siècle, avec les actions menées pour de la libération des femmes dans les années 70 et un nouvel élan avec le mouvement #metoo de 2017.
Sans pour autant se poser en victime Ma, dans ses chansons, encourage, défie, se défend, parfois avec violence, prévient ses contemporaines, assume ses préférences sexuelles.
C’est une avant-gardiste, elle affiche clairement les prémices du féminisme. On peut la voir arriver sur scène habillée en homme ou tout le contraire, vêtue de longues robes, couverte de bijoux de strass et de plumes, poser sa valise et chanter Travelling Blues, chanson dans laquelle elle dénonce les infidélités de son homme mais décide de prendre la route et de saisir l’opportunité d’une nouvelle vie. C’est ainsi qu’elle est mise en scène, une femme forte, libre, fière, émancipée, une cheffe d’entreprise, en 2015 dans le film Bessie de la réalisatrice Dee Rees. En 1982, le dramaturge August Wilson illustre dans la pièce Ma Rainey’s black Bottom les conditions sociales particulières des Noirs Américains en prenant le prétexte d’un enregistrement de la mère du Blues et son groupe dans un studio de musique lors d’une chaude journée d’été à Chicago. Cette pièce est portée à l’écran en 2020 par George C Wolfe avec l’acteur Chadwick Boseman au coté de la grande Viola Davis dans le rôle de Ma et dont la musique est signée Brandford Marsalis.
Le Blues et le Negro-spiritual ont les mêmes racines mais sont rivaux, les artistes, en théorie, doivent choisir leur camp. La musique du diable ou celle de Dieu. En fait, le Blues n’est pas la musique du diable mais une musique sociale, réaliste, à l’instar des chansons réalistes françaises de la même époque, simplement ancrée dans la dure réalité du quotidien alors que le Negro-spirutual se consacre à la promesse d’une vie meilleure dans l’au delà.
Thomas Dorsey, le pianiste et compositeur notamment du célèbre Negro-spiritual Precious Lord, take my hand, est obligé de naviguer en sous-marin entre ces deux courants musicaux. Il accompagne Ma Rainey sur scène et dans ses enregistrements
sous un pseudonyme.
La mère du Blues elle même, après avoir fait résonner un authentique Blues jusqu’en 1935, finira elle aussi par chanter dans les églises. La gestion habile de son argent lui permet de prendre sa retraite et même d’acheter 2 théâtres à Colombus, la ville qui l’a vue naître et dans laquelle elle fermera les yeux, le 22 décembre 1939.
La vie de Ma Rainey fut riche d’expériences, sans compromis, libre d’être elle même, de chanter comme elle vivait, avec conviction, avec passion, avec conscience. Indépendante, engagée, rebelle, elle assume sa bisexualité. Elle sait tendre la main aussi et prendra sous son aile une autre grande figure de ce qu’on appelle alors le Blues classique, Bessie Smith, de 15 ans sa cadette. La mère du blues laisse une empreinte forte dans la musique, See See Rider deviendra un titre phare du Rock ‘N’ Roll par exemple et la vie de Ma devint un modèle pour de nombreuses artistes, de nombreuses femmes. Elle ouvre la voie aux chanteuses engagées telles que Abbey Lincoln, Nina Simone, Tracy Chapman, cette voie qui permet à Billie Holiday d’interpréter quelques années plus tard, non sans peine, le glaçant Strange fruits.
Madame Gertrude « Ma » Rainey incarne et célèbre, par son parcours, l’esprit afro-américain du début du 20ème siècle, qui sera le siècle de toutes les luttes, raciales, sociales et idéologiques.
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